Peugeot 505, un âne guinéen Terrifiant, délirant, incroyable, suicidaire … Ces adjectifs manquent bigrement de force pour qualifier ce que nous avons vécu. Une mémorable mésaventure au cours de laquelle j’ai souffert le martyre, 40 heures durant, en compagnie de 21 autres personnes, majoritairement des femmes et des enfants. Fermez les yeux et imaginez. Imaginez un véhicule, une voiture Peugeot 505 de 7 places en l’occurrence. Dans ce véhicule de 7 places, 21 personnes sont entassées pêle-mêle tels des colis pour un itinéraire de plus de 1000 km dont la moitié est constituée de pistes rurales noyées de poussière. C’est le voyage que j’ai récemment effectué, presque deux jours durant, entre les villes de Labé en Guinée et celle de Serrekunda en Gambie ! Je vous vois sourire d’incrédulité. Normal. C’est que vous ignorez la capacité du Guinéen à repousser les limites de l’impensable. J’étais littéralement vitrifié d’étonnement devant le spectacle de l’embarquement. Comment diable toutes ces personnes peuvent-elles contenir dans cet amas de ferraille gros comme un mouchoir de poche ? me demandais-je sans cesse. Méticuleusement, en mesurant les mensurations du postérieur de chacun au jugé, le chauffeur de la Peugeot est parvenu, au bout d’une quarantaine de minutes, à transformer sa voiture en une boite de sardines puante et bruyante. Il a réussi l’exploit de caser trois adultes et un enfant sur le siège avant, communément et bizarrement appelé « place escroc » chez nous, à confiner quatre personnes dont trois nourrices sur la banquette du milieu, à entasser pêle-mêle sur la banquette arrière deux autres nourrices et trois gosses. Si vous comptez avec moi, cela fait un total de 17 âmes. Il parque deux jeunes dans le coffre du véhicule et suspends son apprenti-chauffeur sur le porte-bagages chargé à ras-bord. Si l’on considère le chauffard comme une personne dans ces conditions, il constitue le 21ème voyageur de l’odyssée. Cap sur la Gambie. Je ne vous raconte pas l’atmosphère qui régnait dans la Peugeot, devenue une serre tropicale, avec plus de 35 degrés Celsius à l’extérieur, des gosses qui pissent, vomissent et pleurent d’étouffement. Nous étions si serrés que notre circulation sanguine était dangereusement compromise. Des esclaves sur une caravelle en direction de l’Amérique, il y a trois siècles, étaient mieux lotis que nous. Comble de l’ironie, les nourrices analphabètes s’accommodaient presque joyeusement de cet enfer, croyant naïvement qu’on leur a fait une faveur, malgré les 330.000 GNF (près de 50 dollars US) qu’elles ont payés comme transport et la moitié de ce tarif pour leur rejeton qui croupit dans le coffre. La Peugeot aux roues usées ahanait en franchissant les cols vertigineux du Foutah Oriental que des pistes tortueuses serpentent dangereusement. En dépit de l’océan de poussière dans lequel on nageait, le chauffeur avait le culot de fumer de la cigarette derrière le volant et du chanvre indien aux arrêts ! Plusieurs fois on a frôlé la cata. De rage et d’impuissance, j’ai failli éclater. Seule la grave maladie d’une maman que je tenais coûte que coûte à voir avant qu’elle ne parte m’avait poussé à accepter un tel supplice. J’enrageais d’avantage contre les policiers et gendarmes qui voyaient mais ignoraient ce spectacle ahurissant, plus préoccupés d’encaisser les misérables billets de 1000 francs que leur tendait systématiquement le chauffard à chaque barrage, ou à rançonner les pauvres passagères sous prétexte qu’elles ne disposent pas de carte nationale d’identité. Ces barrages routiers sont des endroits où des pestiférés de Lakkrous (soldats sans valeur) passent leur temps à racketter d’honnêtes citoyens en les humiliant. Une autre honte pour la Guinée. Je maudissais le chauffard du taxi, le Syndicat des transporteurs, les gendarmes et policiers, le designer, le fabricant et même l’importateur en Guinée de la Peugeot 505. C’est en franchissant la frontière gambienne que la colère qui me tenaillait a momentanément desserré son étau. A la tombée de la nuit, le drogué chauffard cherchant un détour pour éviter un énième contrôle de police, tombe nez à nez avec une patrouille militaire. On l’intime d’ouvrir le coffre. Le chef de la patrouille n’en revenait pas en voyant les gamins à moitié mort de fatigue et de déshydratation dans le trou. Le conducteur est sommé de s’expliquer avec confiscation de son laissez-passer délivré par la police. Je jubilais au fond de moi-même. Quelques minutes de supplication, les militaires nous laissent partir par pitié aux femmes et enfants. «Peugeot, la voiture de l’Afrique». Combien de fois ce spot publicitaire a crevé nos écrans de télé à la mi-temps des matchs de football de la Coupe d’Afrique des Nations ? J’ignorais que la 505 ou sa sœur ainée, la 504, avaient une âme aussi coriace. Au Sénégal, ces voitures portent le nom de « 7 places » par analogie au nombre de sièges disponibles dans l’habitacle. On respecte cela au pays de Macky Sall. En Guinée pays de laxisme et de corruption par excellence, les mécaniciens, à la demande des propriétaires aveuglés par le gain, ont séquencé le génome de cette voiture pour la transformer en ORNI, un Objet Roulant Non Identifié : feux rouges et rétroviseurs fêlés, pare-brise en toile d’araignée, ceintures de sécurité en rade, vitres commandées par un tournevis, systèmes de freinage défaillant... Le tout surmonté d’un porte-bagages dont la charge peut atteindre deux fois le gabarit du véhicule ! C’est cette espèce d’âne métallique perpétuellement surchargé que des têtes brulées sans scrupule lancent sur des pistes déglinguées transnationales. Shame on you !
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barbaremotus Membre Actif
Prénom : Philippe Date d'inscription : 20/05/2010 Voiture : 505 GTD Turbo 1986
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Sujet: Re: 21 personnes dans une 505 break pour un périple de 1000 kms Dim 7 Aoû 2022 - 14:45
LA peugeot increvable !
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